Dans un contexte où l’optimisation fiscale et la transmission patrimoniale deviennent des préoccupations majeures pour les investisseurs et dirigeants d’entreprise, le démembrement de parts sociales s’impose comme une stratégie sophistiquée et efficace. Cette technique juridico-fiscale, longtemps réservée aux initiés, gagne en popularité auprès des investisseurs avisés qui souhaitent optimiser la fiscalité de leur patrimoine professionnel tout en préparant sa transmission.
En Résumé
Le démembrement divise la propriété des parts sociales entre usufruit (jouissance et revenus) et nue-propriété (capital)
Cette stratégie permet de réduire significativement l’impact fiscal sur les revenus, le patrimoine (IFI) et la transmission
La loi de finances 2024 a modifié certains aspects du démembrement, notamment concernant les sommes d’argent
La répartition des droits de vote est encadrée par l’article 1844 du Code civil, modifié en 2019
Un démembrement mal structuré peut entraîner des risques de requalification fiscale et des conflits entre usufruitier et nu-propriétaire
- Qu'est-ce que le démembrement de parts sociales et comment fonctionne-t-il?
- Les avantages fiscaux du démembrement de parts sociales en 2025
- Les différentes techniques de démembrement et leurs applications
- Gouvernance et répartition des droits : le cadre légal actualisé
- Précautions et sécurisation juridique : éviter les pièges du démembrement
- Applications pratiques : cas concrets de démembrement optimisé
- Évolutions récentes et perspectives 2025-2026
- FAQ sur le démembrement de parts sociales
- Conclusion : une stratégie d'optimisation à adapter à chaque situation
- Sources et références
Qu’est-ce que le démembrement de parts sociales et comment fonctionne-t-il?
Le démembrement de parts sociales consiste à séparer les droits attachés à ces parts entre deux personnes distinctes. D’un côté, l’usufruitier qui dispose du droit d’usage et de jouissance des parts (perception des dividendes notamment), de l’autre, le nu-propriétaire qui détient la propriété du capital sans pouvoir en tirer les fruits immédiats.
Cette technique s’appuie sur les trois attributs classiques du droit de propriété :
- L’usus : le droit d’utiliser le bien
- Le fructus : le droit d’en percevoir les fruits (comme les dividendes)
- L’abusus : le droit de disposer du bien (le vendre, le donner)
Dans le cadre du démembrement, l’usufruitier dispose de l’usus et du fructus, tandis que le nu-propriétaire conserve l’abusus.
Contrairement aux idées reçues, le démembrement n’est pas limité aux SCI et peut s’appliquer à tous types de sociétés : SARL, SAS, SA ou sociétés civiles. Il peut résulter d’une transmission (donation, succession) ou d’une opération volontaire (cession d’usufruit ou de nue-propriété).
Le démembrement de parts sociales s’inscrit dans une stratégie patrimoniale plus large du démembrement de propriété. Pour approfondir vos connaissances sur les principes généraux du démembrement et ses applications dans d’autres domaines, notamment immobilier, nous vous invitons à consulter notre guide complet sur le démembrement de propriété, qui complète parfaitement les spécificités du démembrement de parts sociales abordées dans cet article
La valorisation du démembrement : un élément crucial
La valorisation respective de l’usufruit et de la nue-propriété constitue un élément déterminant de cette stratégie. Fiscalement, cette valorisation s’effectue selon le barème de l’article 669 du Code général des impôts, qui fixe la valeur de l’usufruit en fonction de l’âge de l’usufruitier :
Âge de l’usufruitier | Valeur de l’usufruit | Valeur de la nue-propriété |
---|---|---|
Moins de 21 ans | 90% | 10% |
De 21 à 30 ans | 80% | 20% |
De 31 à 40 ans | 70% | 30% |
De 41 à 50 ans | 60% | 40% |
De 51 à 60 ans | 50% | 50% |
De 61 à 70 ans | 40% | 60% |
De 71 à 80 ans | 30% | 70% |
De 81 à 90 ans | 20% | 80% |
Plus de 90 ans | 10% | 90% |
Pour un démembrement temporaire, la valeur de l’usufruit est fixée à 23% de la valeur en pleine propriété par tranche de 10 ans.
Les avantages fiscaux du démembrement de parts sociales en 2025
Le démembrement de parts sociales offre plusieurs avantages fiscaux considérables qui en font une stratégie d’optimisation privilégiée. Examinons les principaux bénéfices fiscaux à la lumière des dispositions actuellement en vigueur.
Optimisation de la fiscalité des revenus
En matière d’impôt sur le revenu, l’usufruitier est le seul imposable sur les revenus générés par les parts sociales, conformément à l’article 8 du Code général des impôts. Cette règle s’applique que la société soit à l’IR ou à l’IS.
Pour une société civile soumise à l’IR, l’usufruitier sera imposé sur sa quote-part dans les bénéfices sociaux, tandis que le nu-propriétaire ne sera pas fiscalement concerné. Cette répartition permet d’orienter les revenus vers le membre de la famille disposant de la fiscalité la plus avantageuse.
Par exemple, un parent proche de la retraite (avec des revenus en baisse) peut conserver l’usufruit des parts tout en transmettant la nue-propriété à ses enfants (potentiellement dans des tranches d’imposition plus élevées).
Réduction de l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI)
Un des avantages majeurs du démembrement concerne l’Impôt sur la Fortune Immobilière. En effet, en cas de démembrement, les parts détenues en nue-propriété sont exonérées d’IFI. Seul l’usufruitier est soumis à cet impôt, mais uniquement sur la valeur de son usufruit.
Cette particularité permet une stratégie efficace de réduction d’IFI, surtout pour les contribuables détenant un patrimoine immobilier important via des sociétés. La donation de la nue-propriété des parts sociales peut ainsi significativement réduire l’assiette taxable à l’IFI.
Transmission patrimoniale optimisée
En matière de transmission, le démembrement offre des avantages substantiels :
- Réduction des droits de donation : La donation ne portant que sur la nue-propriété, les droits de mutation sont calculés uniquement sur cette valeur (souvent inférieure à la moitié de la valeur en pleine propriété).
- Reconstitution de la pleine propriété sans fiscalité : Au décès de l’usufruitier, le nu-propriétaire récupère automatiquement la pleine propriété des parts sans payer de droits de succession sur la valeur de l’usufruit qui s’éteint.
Pour illustrer ce mécanisme, prenons l’exemple d’un dirigeant d’entreprise de 58 ans souhaitant transmettre des parts sociales évaluées à 1 million d’euros à son fils. En conservant l’usufruit, la valeur transmise sera de 500 000 € (50% selon le barème), réduisant ainsi de moitié l’assiette des droits de donation. À son décès, son fils récupérera la pleine propriété sans droits supplémentaires.
Les différentes techniques de démembrement et leurs applications
Il existe plusieurs techniques de démembrement, chacune adaptée à des objectifs patrimoniaux spécifiques. Les principales sont :
Le démembrement classique par donation
C’est la forme la plus répandue : le propriétaire donne la nue-propriété à ses héritiers tout en conservant l’usufruit. Cette technique permet de préparer la transmission tout en conservant les revenus de son vivant.
Elle s’avère particulièrement adaptée pour les dirigeants d’entreprise souhaitant transmettre progressivement leur société à leurs enfants tout en conservant le contrôle et les revenus.
Le démembrement temporaire
Dans cette configuration, l’usufruit est constitué pour une durée déterminée (généralement entre 3 et 15 ans). À l’issue de cette période, l’usufruit s’éteint automatiquement et la pleine propriété est reconstituée entre les mains du nu-propriétaire.
Cette formule est particulièrement intéressante pour les investisseurs cherchant à optimiser fiscalement un placement sur une période définie, notamment dans le cadre de sociétés détenant des actifs immobiliers.
Le démembrement croisé
Le démembrement croisé est une stratégie sophistiquée principalement utilisée par les couples non mariés (concubins ou partenaires de PACS). Chaque partenaire détient l’usufruit des parts dont l’autre détient la nue-propriété.
Ce mécanisme ingénieux permet au survivant de conserver la jouissance du bien immobilier après le décès du premier partenaire, tout en garantissant la transmission du capital aux héritiers respectifs sans fiscalité excessive.
Gouvernance et répartition des droits : le cadre légal actualisé
La question de la gouvernance en cas de démembrement a longtemps été source d’incertitudes et de contentieux. La loi SOILIHI (loi 2019-744 du 19 juillet 2019) a clarifié la situation en modifiant l’article 1844 du Code civil.
Répartition légale des droits de vote
Selon l’article 1844 du Code civil dans sa version actuelle :
« Si une part est grevée d’un usufruit, le nu-propriétaire et l’usufruitier ont le droit de participer aux décisions collectives. Le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, où il est réservé à l’usufruitier. »
Cette formulation reconnaît explicitement le droit de l’usufruitier de participer à toutes les assemblées générales, même pour les décisions où il ne dispose pas du droit de vote.
Aménagements statutaires possibles et leurs limites
La loi permet d’aménager conventionnellement la répartition des droits de vote, avec toutefois une limite importante : l’usufruitier ne peut être privé du droit de voter les décisions concernant l’affectation des bénéfices.
Les statuts peuvent prévoir diverses configurations :
- Attribution de tous les droits de vote à l’usufruitier (solution courante en transmission familiale)
- Répartition spécifique selon la nature des décisions
- Vote conjoint pour certaines décisions stratégiques
En revanche, il est impossible d’attribuer tous les droits de vote au nu-propriétaire, car cela priverait l’usufruitier de son droit fondamental à jouir des fruits (dividendes).
Précautions et sécurisation juridique : éviter les pièges du démembrement
Le démembrement de parts sociales comporte certains risques qui doivent être anticipés par une structuration juridique adaptée.
Les risques de requalification fiscale
L’administration fiscale est particulièrement vigilante concernant les opérations de démembrement qui pourraient dissimuler un abus de droit. Les principaux risques sont :
- La sous-évaluation de la nue-propriété ou de l’usufruit
- L’absence de réalité économique du démembrement
- Les montages visant uniquement un but fiscal sans substance économique
La loi de finances 2024 a d’ailleurs renforcé les dispositifs anti-abus, notamment concernant le démembrement de sommes d’argent.
Les clauses statutaires essentielles
Pour sécuriser un démembrement de parts sociales, plusieurs clauses statutaires doivent être soigneusement rédigées :
- Clause de répartition des droits de vote clarifiant les pouvoirs respectifs
- Clause d’affectation des bénéfices précisant les modalités de distribution
- Clause de préemption en cas de cession de la nue-propriété ou de l’usufruit
- Clause de remploi en cas de cession des actifs de la société
La convention d’usufruit : un outil de prévention des conflits
Au-delà des statuts, la rédaction d’une convention d’usufruit entre nu-propriétaire et usufruitier permet de préciser :
- Les obligations d’information réciproques
- Les modalités de consultation préalable pour les décisions importantes
- La gestion des plus-values en cas de cession
- Les conditions de sortie du démembrement
Cette convention, bien que non opposable à la société, sécurise les relations entre usufruitier et nu-propriétaire, prévenant ainsi de nombreux litiges potentiels.
Applications pratiques : cas concrets de démembrement optimisé
Pour illustrer concrètement les bénéfices du démembrement, examinons deux cas pratiques représentatifs.
Cas n°1 : Transmission anticipée d’une entreprise familiale
Situation : Un dirigeant de PME de 62 ans souhaite transmettre progressivement son entreprise à ses deux enfants tout en conservant revenus et contrôle.
Solution mise en œuvre :
- Donation de la nue-propriété des parts (60% de la valeur) aux deux enfants
- Conservation de l’usufruit (40% de la valeur) par le dirigeant
- Aménagement statutaire attribuant l’ensemble des droits de vote à l’usufruitier (sauf modifications statutaires)
Avantages obtenus :
- Réduction de 60% des droits de donation
- Diminution de l’assiette IFI du dirigeant
- Maintien intégral du contrôle et des revenus
- Transmission sécurisée et anticipée du capital
Cas n°2 : Acquisition immobilière optimisée via SCI
Situation : Un couple de concubins souhaite acquérir leur résidence principale tout en se protégeant mutuellement.
Solution mise en œuvre :
- Création d’une SCI détenant le bien immobilier
- Démembrement croisé des parts : chacun détient la nue-propriété de 50% des parts et l’usufruit des 50% détenus en nue-propriété par l’autre
Avantages obtenus :
- Protection du survivant qui conservera 50% des parts en pleine propriété et 50% en usufruit
- Transmission facilitée aux héritiers respectifs (enfants d’unions précédentes)
- Optimisation des droits de succession
- Stabilité juridique de la situation patrimoniale
Évolutions récentes et perspectives 2025-2026
Le cadre juridique et fiscal du démembrement connaît des évolutions significatives qu’il convient de surveiller attentivement.
Impacts de la loi de finances 2024
La loi de finances 2024 a apporté plusieurs modifications concernant le démembrement, notamment :
- Restriction des avantages fiscaux pour le démembrement de sommes d’argent (article 26)
- Renforcement des dispositifs anti-abus concernant le quasi-usufruit issu de donations
- Maintien des avantages pour le démembrement portant sur des parts sociales et biens immobiliers
Tendances jurisprudentielles à surveiller
Plusieurs questions continuent d’alimenter les débats juridiques et jurisprudentiels :
- La qualification d’associé de l’usufruitier, toujours discutée malgré son droit reconnu de participer aux assemblées
- L’étendue des pouvoirs du nu-propriétaire concernant les décisions extraordinaires
- Les limites des conventions entre usufruitier et nu-propriétaire
Recommandations stratégiques pour 2025-2026
Dans ce contexte évolutif, plusieurs recommandations peuvent être formulées :
- Réexaminer les démembrements existants à la lumière des nouvelles dispositions
- Privilégier les démembrements portant sur des actifs réels (parts sociales, immobilier) plutôt que sur des liquidités
- Documenter soigneusement la substance économique des opérations de démembrement
- Prévoir des clauses d’adaptation dans les conventions d’usufruit
FAQ sur le démembrement de parts sociales
Les deux titulaires (usufruitier et nu-propriétaire) peuvent participer aux assemblées, mais le droit de vote appartient au nu-propriétaire pour toutes les décisions sauf celles relatives à l’affectation des bénéfices, réservées à l’usufruitier. Les statuts peuvent aménager cette répartition.
Pour un usufruit temporaire, la valeur fiscale est fixée à 23% de la valeur de la pleine propriété par période de 10 ans. Pour les durées intermédiaires, elle est calculée proportionnellement.
Non, le démembrement peut s’appliquer à tous types de sociétés : SCI, SARL, SAS, SA ou autres sociétés civiles. Chaque forme sociale présente toutefois des spécificités qu’il convient d’analyser.
La cession conjointe de l’usufruit et de la nue-propriété requiert l’accord des deux titulaires. La cession isolée de l’usufruit ou de la nue-propriété est possible mais souvent encadrée par des clauses d’agrément statutaires.
Cette question reste débattue en jurisprudence. La loi SOILIHI de 2019 reconnaît à l’usufruitier le droit de participer aux assemblées sans trancher explicitement la question de sa qualité d’associé.
Conclusion : une stratégie d’optimisation à adapter à chaque situation
Le démembrement de parts sociales constitue indéniablement une stratégie d’optimisation fiscale et patrimoniale puissante, mais qui nécessite une approche personnalisée et rigoureuse. Ses atouts en matière de transmission, de fiscalité des revenus et de protection du patrimoine en font un outil incontournable dans l’arsenal des techniques d’organisation patrimoniale.
La complexité des règles juridiques et fiscales applicables, ainsi que les évolutions législatives et jurisprudentielles régulières, imposent toutefois un accompagnement par des professionnels spécialisés. Chaque situation patrimoniale étant unique, la structure du démembrement doit être taillée sur mesure pour répondre aux objectifs spécifiques de l’investisseur.
Utilisé à bon escient et correctement structuré, le démembrement de parts sociales reste en 2025 l’une des stratégies les plus efficientes pour concilier optimisation fiscale, conservation des revenus et transmission sécurisée du patrimoine professionnel.
A retenir
Le démembrement de parts sociales sépare les droits entre usufruitier (jouissance et revenus) et nu-propriétaire (capital)
L’usufruitier est imposé sur les revenus, tandis que le nu-propriétaire ne l’est pas pendant la durée du démembrement
La valeur de l’usufruit dépend de l’âge de l’usufruitier ou de la durée convenue pour un usufruit temporaire
La loi garantit les droits de participation de l’usufruitier et du nu-propriétaire aux assemblées générales
Cette stratégie permet une transmission anticipée avec une fiscalité réduite et une reconstitution de propriété sans droits à payer au décès de l’usufruitier
Les risques de requalification fiscale imposent une structuration juridique rigoureuse et une documentation solide des opérations
Sources et références
- Code civil, article 1844 modifié par la loi n°2019-744 du 19 juillet 2019
- Code général des impôts, articles 669 (barème de valorisation) et 8 (imposition des revenus)
- Loi de finances 2024, article 26 (dispositions relatives au démembrement)
- Cour de cassation, arrêt du 16 février 2022, n° 20-15.164 (précisions sur les droits de l’usufruitier)
- Bulletin Officiel des Finances Publiques (BOFiP), BOI-ENR-DMTG-10-40-10-10 (mis à jour le 04/03/2024)
- Guide pratique « Optimisation fiscale du patrimoine professionnel » – Éditions Francis Lefebvre, 2025
- Étude « Démembrement et transmission d’entreprise » – Conseil supérieur du notariat, janvier 2025
- https://www.economie.gouv.fr/cedef/mesures-fiscales-2024
- https://www.avocats-picovschi.com/demembrement-des-parts-de-sci-fonctionnement-et-avantages_article_1940.html
- https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038799283