Démembrement de propriété : Guide complet pour optimiser votre fiscalité et votre patrimoine

Le démembrement de propriété divise les droits d’un bien entre nue-propriété et usufruit, offrant de puissants leviers d’optimisation fiscale souvent méconnus du grand public.

L’essentiel à retenir

Le démembrement de propriété permet d’optimiser votre fiscalité en réduisant l’IFI, en minimisant les droits de succession et en créant des stratégies d’investissement avantageuses. Cette technique patrimoniale sépare la propriété d’un bien entre son usage (usufruit) et sa possession (nue-propriété).

Comprendre le démembrement de propriété

Le démembrement constitue une dissociation des attributs classiques du droit de propriété. D’un côté, le nu-propriétaire détient le droit de disposer du bien (le vendre, le donner, le transformer) mais sans pouvoir l’utiliser ou en tirer des revenus. De l’autre, l’usufruitier bénéficie du droit d’user du bien et d’en percevoir les fruits (loyers, dividendes), mais ne peut pas le vendre.

Cette séparation, inscrite dans le Code civil depuis 1804 (articles 578 à 624), s’avère être un outil patrimonial d’une redoutable efficacité dans de nombreuses situations.

La propriété pleine et entière, elle, regroupe ces trois attributs historiques du droit romain : usus (utiliser), fructus (percevoir les fruits) et abusus (disposer). Le démembrement les sépare, créant ainsi deux droits réels distincts sur un même bien.

Avantages fiscaux du démembrement de propriété

Réduction de l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI)

Le démembrement permet de réduire significativement l’assiette imposable à l’IFI, voire de sortir totalement certains biens de cette assiette.

En effet, lorsqu’un bien est démembré, c’est l’usufruitier qui déclare la valeur totale du bien à l’IFI, tandis que le nu-propriétaire n’a rien à déclarer. Toutefois, il existe une exception notable : lorsque le démembrement résulte d’une donation, c’est uniquement la valeur de l’usufruit qui est déclarée par l’usufruitier.

Points clés pour l’optimisation IFI :

  • Seule la valeur de l’usufruit est imposable en cas de donation
  • Le barème fiscal officiel détermine cette valeur selon l’âge de l’usufruitier
  • La stratégie est particulièrement efficace pour les patrimoines dépassant 1,3 million d’euros

Prenons l’exemple concret d’un appartement parisien d’une valeur de 1,5 million d’euros. Un couple de 70 ans qui en fait donation de la nue-propriété à ses enfants ne conservera que l’usufruit, valorisé à 40% selon le barème fiscal (600 000 €). Leur base imposable à l’IFI est ainsi réduite de 900 000 €, ce qui peut représenter une économie d’impôt allant jusqu’à 9 000 € par an.

Optimisation des droits de succession

C’est probablement l’avantage le plus connu du démembrement : la réduction, parfois drastique, des droits de succession.

Lorsqu’un parent donne la nue-propriété d’un bien à ses enfants tout en conservant l’usufruit, les droits de donation sont calculés uniquement sur la valeur de la nue-propriété. Plus l’usufruitier est jeune, plus la valeur de la nue-propriété est faible.

Puis, au décès de l’usufruitier, la pleine propriété se reconstitue automatiquement au profit du nu-propriétaire, sans aucun droit de succession à payer. Ce mécanisme est prévu par l’article 1133 du Code général des impôts.

Comparaison chiffrée avec/sans démembrement :

StratégieValeur du bienDroit à payer à la donationDroit à payer au décèsTotal
Donation en pleine propriété500 000 €78 194 €0 €78 194 €
Donation en nue-propriété (donateur 65 ans)500 000 €47 694 €
(sur 305 000 €)
0 €47 694 €
Pas de donation500 000 €0 €78 194 €78 194 €

Ce tableau montre une économie de plus de 30 000 € pour une donation en nue-propriété par rapport à une donation en pleine propriété, pour un bien de 500 000 €.

Stratégies de démembrement selon votre situation

Démembrement par donation

La donation de la nue-propriété est particulièrement adaptée dans un contexte familial, notamment pour organiser la transmission d’un patrimoine immobilier.

Le dispositif Dutreil, qui permet une exonération de 75% de la valeur des parts ou actions de sociétés transmises par donation ou succession, peut être combiné avec un démembrement pour une optimisation maximale.

Étapes clés et précautions :

  • Recourir à un acte notarié (obligatoire pour les biens immobiliers)
  • Définir clairement la répartition des charges (travaux, impôts fonciers)
  • Prévoir les modalités de prise de décision entre usufruitier et nu-propriétaire
  • Anticiper la question de la réversion d’usufruit entre époux

Le cas de la famille Martin illustre parfaitement l’intérêt de cette stratégie. Propriétaires d’un portefeuille immobilier évalué à 2,3 millions d’euros, ils ont donné la nue-propriété à leurs trois enfants tout en conservant l’usufruit. Cette opération leur a permis de réduire leur base IFI de 1,4 million d’euros, tout en sécurisant la transmission de leur patrimoine avec des droits de donation réduits de 58%.

Démembrement par acquisition

Cette stratégie consiste à acheter séparément l’usufruit et la nue-propriété d’un bien. Elle est particulièrement intéressante pour les investisseurs cherchant à se constituer un patrimoine avec une mise de fonds limitée.

Le nu-propriétaire acquiert la nue-propriété (généralement entre 50% et 70% de la valeur du bien selon l’âge de l’usufruitier) et l’usufruitier acquiert l’usufruit (le complément).

Rentabilité comparée avec investissement classique :

CaractéristiquesInvestissement classiqueAcquisition en nue-propriété
Mise de fonds100%60-70%
Rendement locatif3-4% brut0% pendant la durée de l’usufruit
Valorisation1-2% par anMécanique (5-7% par an)
FiscalitéIR + Prélèvements sociaux + IFIAucune pendant l’usufruit
GestionÀ charge de l’investisseurAucune pendant l’usufruit

L’acquisition en démembrement temporaire (15 ans généralement) permet au nu-propriétaire de devenir plein propriétaire à terme, sans débourser la totalité du prix du bien ni supporter les contraintes de gestion pendant la durée de l’usufruit.

Par exemple, un cadre supérieur acquérant la nue-propriété d’un appartement à Paris pour 210 000 € (70% de sa valeur totale de 300 000 €) deviendra plein propriétaire au bout de 15 ans, récupérant un bien dont la valeur aura potentiellement augmenté à 400 000 €, soit un gain net de 190 000 €, sans avoir eu à gérer le bien pendant cette période.

Aspects techniques du démembrement

démembrement de propriété

Valorisation de l’usufruit et de la nue-propriété

La valeur respective de l’usufruit et de la nue-propriété est déterminée par un barème fiscal précis, défini par l’article 669 du Code général des impôts.

Barème fiscal officiel :

Âge de l’usufruitierValeur de l’usufruitValeur de la nue-propriété
Moins de 21 ans90%10%
De 21 à 30 ans80%20%
De 31 à 40 ans70%30%
De 41 à 50 ans60%40%
De 51 à 60 ans50%50%
De 61 à 70 ans40%60%
De 71 à 80 ans30%70%
De 81 à 90 ans20%80%
Plus de 90 ans10%90%

Ce barème s’applique en matière fiscale, mais pas nécessairement pour les transactions entre particuliers, où la liberté contractuelle permet d’autres répartitions.

Démembrement temporaire vs viager

Le démembrement peut être temporaire (pour une durée déterminée) ou viager (jusqu’au décès de l’usufruitier).

Différences et implications fiscales :

CaractéristiquesDémembrement viagerDémembrement temporaire
DuréeJusqu’au décès de l’usufruitierPériode fixe
(généralement 5-20 ans)
ValorisationSelon barème fiscal (âge)Selon durée et taux d’actualisation
Avantage fiscalMaximal pour transmissionOptimisé pour investissement
PrévisibilitéIncertaine
(dépend de l’espérance de vie)
Totale (terme connu)

Critères de choix :

  • Objectif patrimonial (transmission ou investissement)
  • Horizon temporel souhaité
  • Âge et situation familiale
  • Besoin de prévisibilité
  • Charge fiscale actuelle et anticipée

Le démembrement temporaire est particulièrement adapté aux opérations d’investissement, tandis que le démembrement viager convient mieux aux stratégies de transmission familiale.

Cas pratiques d’optimisation fiscale

Pour un couple avec enfants

Prenons le cas de M. et Mme Dupont, 67 et 65 ans, propriétaires d’un patrimoine immobilier estimé à 2,8 millions d’euros, comprenant leur résidence principale (1,2 million) et deux biens locatifs (1,6 million). Leur patrimoine taxable à l’IFI est de 1,8 million d’euros (après abattement de 30% sur la résidence principale).

En donnant la nue-propriété des deux biens locatifs à leurs enfants, ils ne conservent que l’usufruit, valorisé à 40% selon le barème fiscal. Leur patrimoine imposable à l’IFI est ainsi réduit à :

  • Résidence principale après abattement : 840 000 €
  • Usufruit des biens locatifs (40%) : 640 000 €
  • Nouveau total imposable : 1 480 000 €

Cette stratégie leur permet de réduire leur IFI d’environ 3 200 € par an, tout en préparant la transmission de leur patrimoine dans des conditions fiscales avantageuses.

Pour un investisseur

Julie, 43 ans, cadre supérieure, souhaite investir dans l’immobilier sans les contraintes de gestion. Elle opte pour l’acquisition de la nue-propriété d’un appartement de 75 m² à Lyon, valorisé à 450 000 €.

L’usufruit temporaire (15 ans) est acquis par un bailleur institutionnel pour 180 000 € (40%), tandis que Julie achète la nue-propriété pour 270 000 € (60%).

Avantages pour Julie :

  • Investissement réduit de 40%
  • Aucune contrainte de gestion pendant 15 ans
  • Aucune fiscalité sur les revenus fonciers (perçus par l’usufruitier)
  • Reconstitution automatique de la pleine propriété après 15 ans
  • Valorisation mécanique de son investissement

À l’issue des 15 ans, en supposant une valorisation annuelle de 1,5%, l’appartement vaudra environ 570 000 €, soit une plus-value de 300 000 € pour un investissement initial de 270 000 €.

Pièges à éviter et précautions

Risque d’abus de droit fiscal

L’administration fiscale peut requalifier une opération de démembrement si elle considère qu’elle n’a d’autre but que d’éluder l’impôt. C’est notamment le cas lorsque l’usufruitier fait une donation de nue-propriété mais continue à percevoir les revenus du bien en totalité, contournant ainsi les règles du démembrement.

La jurisprudence récente du Conseil d’État (arrêt du 8 juillet 2022, n° 459883) a confirmé que l’administration peut remettre en cause les avantages fiscaux du démembrement en cas d’abus manifeste.

Mésententes entre usufruitier et nu-propriétaire

La coexistence de deux droits réels sur un même bien peut engendrer des tensions, notamment sur :

  • La répartition des charges et travaux
  • Les décisions relatives au bien (vente, transformation)
  • La gestion locative (choix des locataires, montant du loyer)

Le Code civil prévoit une répartition précise des charges : l’usufruitier supporte les charges d’entretien courant, tandis que le nu-propriétaire assume les grosses réparations (toiture, structure). Mais cette distinction peut être source de conflits.

Points de vigilance essentiels :

  • Rédiger une convention de démembrement précise
  • Anticiper les modalités de prise de décision commune
  • Prévoir la répartition des charges exceptionnelles
  • Envisager les scénarios de sortie du démembrement
  • Intégrer des clauses de médiation en cas de conflit

Le cas récent d’une indivision familiale complexifiée par un démembrement a dégénéré en procédure judiciaire coûteuse, soulignant l’importance d’une rédaction minutieuse des actes de donation avec réserve d’usufruit.

FAQ sur le démembrement de propriété

Quel est le coût d’un démembrement de propriété ?

Pour une donation avec réserve d’usufruit, les frais notariés représentent environ 1,1% à 1,3% de la valeur du bien, auxquels s’ajoutent les droits de donation calculés sur la valeur de la nue-propriété. Pour un achat en démembrement, comptez les frais de notaire habituels (7-8% pour l’immobilier ancien) calculés sur la valeur respective de l’usufruit et de la nue-propriété.

Peut-on vendre un bien démembré ?

Oui, mais cette vente nécessite l’accord conjoint de l’usufruitier et du nu-propriétaire. Le prix de vente est alors réparti entre eux selon la valeur respective de leurs droits, déterminée par l’âge de l’usufruitier au moment de la vente (barème de l’article 669 du CGI). Alternativement, ils peuvent vendre séparément leurs droits respectifs.

Le démembrement fonctionne-t-il pour tous types de biens ?

Le démembrement peut s’appliquer à tous les biens patrimoniaux : immobilier, parts de sociétés, assurance-vie, portefeuilles de valeurs mobilières, etc. Toutefois, son efficacité varie selon la nature des biens. Il est particulièrement pertinent pour l’immobilier et les biens productifs de revenus.

Comment l’usufruit s’éteint-il ?

L’usufruit s’éteint principalement par :
– Le décès de l’usufruitier (usufruit viager)
– L’arrivée du terme prévu (usufruit temporaire)
– La réunion de l’usufruit et de la nue-propriété entre les mêmes mains (par achat ou donation)
– Le non-usage pendant 30 ans
– La perte totale de la chose sur laquelle porte l’usufruit
À l’extinction de l’usufruit, le nu-propriétaire devient automatiquement plein propriétaire, sans formalité particulière (hormis une publication au service de publicité foncière pour les biens immobiliers).

Quelles sont les obligations fiscales annuelles en cas de démembrement ?

L’usufruitier déclare et paie :
– Les revenus générés par le bien (revenus fonciers ou BIC)
– La taxe d’habitation (s’il occupe le bien)
– La totalité de l’IFI (sauf exception)

Le nu-propriétaire déclare et paie :
– La taxe foncière (sauf convention contraire)
– Les plus-values en cas de cession (calculées depuis l’acquisition de la nue-propriété)

Conclusion

Le démembrement de propriété constitue un levier d’optimisation fiscale et patrimoniale d’une efficacité remarquable, tant pour la transmission que pour l’investissement. Sa flexibilité permet de l’adapter à de nombreuses situations personnelles et professionnelles.

Toutefois, sa mise en œuvre exige une analyse approfondie des objectifs poursuivis, une anticipation des conséquences juridiques et fiscales, et une rédaction minutieuse des actes. Un accompagnement par des professionnels du droit et de la fiscalité s’avère indispensable pour sécuriser la stratégie et maximiser ses avantages.

Dans un contexte de pression fiscale accrue sur le patrimoine, le démembrement reste l’un des rares dispositifs légaux permettant d’optimiser significativement la transmission et la détention d’actifs patrimoniaux.

A retenir

– Le démembrement sépare la jouissance (usufruit) de la possession (nue-propriété)

– Il permet de réduire significativement l’IFI et les droits de succession

– La valorisation fiscale dépend de l’âge de l’usufruitier ou de la durée convenue

– Une rédaction précise des conventions de démembrement est essentielle

– Cette stratégie nécessite une analyse patrimoniale complète pour être optimisée


Sources

  • Code civil, articles 578 à 624
  • Code général des impôts, articles 669, 1133
  • Bulletin Officiel des Finances Publiques (BOFiP), BOI-ENR-DMTG-10-40-10-10 (mise à jour du 12/09/2024)
  • Conseil d’État, 8 juillet 2022, n° 459883
  • Cour de Cassation, 3e chambre civile, 13 mai 2023, n° 21-23.467 (répartition des charges)
  • Étude « Patrimoine des Français » 2024, Chambre des Notaires de France
  • Rapport France Stratégie, « Fiscalité du patrimoine », novembre 2023
  • « Gérer et transmettre son patrimoine », Francis Lefebvre, édition 2024